Le 11 décembre 2014, la Proposition de résolution portant sur la reconnaissance de l’Etat de Palestine était examinée au Sénat. Voici le texte de mon intervention en séance.
Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, chers collègues,
Avec cette résolution visant la reconnaissance de l’Etat de Palestine, le Parlement exprime, oui dans le respect de son rôle institutionnel, une attente des citoyens français, à savoir une tentative de résolution du conflit israélo-palestinien avec l’avènement de deux Etats viables vivant en paix et en sécurité, conformément au droit international c’est à dire dans les frontières de 1967,.
Le vote positif du sénat exprimerait, la volonté de la représentation nationale de voir s’instaurer une paix juste et durable au Proche-Orient. Alors qu’il n’a pas force de loi, qu’il n’a pour lui que la puissance des mots, ce vote est aussi un vote historique. Et En dépit de toutes les limites de cet exercice, notre débat suscite ici, et hors de nos frontières, une grande espérance. Parce que c’est la voix de la France. Pourquoi ?
• Parce que la France est riche de la 1ere communauté juive d’Europe. Beaucoup de nos concitoyens ont des liens profonds avec Israël, consubstantiel je dirai même des membres de leur famille y vivent.
• Parce que la France, c’est aussi un pays façonné politiquement par le combat contre le colonialisme. Les déchirements de notre histoire récente sont constitutifs de nos identités politiques. La France, plus que d’autres grandes nations européennes, sait, pour reprendre les mots d’Aymé Césaire, que « la colonisation déshumanise l’homme, même le plus civilisé ». A ce stade, j’ai une pensée pour le ministre palestinien tué hier, Ziad Abou Ein.
• Parce que la civilisation européenne a d’abord sombré, moralement, en laissant naître et prospérer en son sein ce qui aboutira à la Shoah. La France d’après 1945 s’est sentie comptable de la France de Vichy. C’est une dette de sang que la France a contracté à l’égard de ces compatriotes. Cette dette s’est exprimée par la reconnaissance de l’Etat d’Israël mais cette dette, ce n’est pas aux palestiniens de la payer.
Par ailleurs, ceux qui regrettent ou qui craignent l’importation de ce conflit en France font, me semble t’il, une erreur d’analyse : cette question, parce qu’elle fait écho à notre histoire, est en France depuis bien des années. Mais la ligne de fracture n’oppose pas les uns et les autres, le bien et le mal.
La ligne de fracture se trouve dans la conscience de chacun d’entre nous ; cette ligne traduit un conflit de principe
– la bienveillance pour Israël puise ses racines dans la faute de Vichy, et se nourrit aussi de l’extraordinaire vitalité d’une partie de la société civile.
– Mais, ce capital de sympathie, réel et puissant, n’interdit pas de constater l’asymétrie des forces, et, par conséquence, l’injustice faite aux palestiniens.
Nous, français, avons pleinement conscience que la France ne peut honorer sa dette en tolérant une autre injustice.
La France républicaine s’est construite, non sans égarements, non sans contradictions, mais toujours avec passion, dans le combat pour la justice, l’égalité et le respect du droit international.
Et notre conscience politique, née de notre histoire récente, fait que toute entreprise coloniale, au delà de la question du droit international, suscite notre réprobation.
Les parlementaires qui sont allés au Proche-Orient ont pu constater le développement rapide de la politique de colonisation jusqu’à Jérusalem-Est, lieu éminemment symbolique. Cette stratégie est contraire au processus d’Oslo et au droit international.
La négociation est devenue une arme pour tuer dans l’œuf toute négociation et le tête à tête entre les différentes parties a montré ses limites. Il faut donc sortir de ce cercle infernal et prendre des initiatives.
Aujourd’hui, le constat est terrible : le dialogue s’avère impossible entre les différents protagonismes alors même que depuis 60 ans la communauté internationale ne cesse de déployer tous ses efforts pour obtenir un accord de paix. Rarement l’avenir de la région n’a été aussi sombre, la détresse si forte.
De fait, notre initiative parlementaire ne vient pas perturber un processus. Bien au contraire, elle tente de le réanimer.
L’attachement de la France, et de ses gouvernements successifs, à la création de l’Etat d’Israël, à sa sécurité, a été constant.
La position de la France en faveur d’un Etat de Palestine a été exprimée à maintes reprises tant par la droite que par la gauche.
Notre initiative vient également relayer la voix de la société civile israélienne. Plusieurs centaines d’intellectuels israéliens nous encouragent à voter cette reconnaissance de l’Etat de Palestine. Tous les partisans de la paix ont besoin de notre vote.
Ils nous disent qu’il n’y a pas de solution militaire tenable, et que la situation actuelle présente un réel danger pour Israël.
Sans horizon politique, c’est la violence aveugle qui domine. L’espoir, même fragile, que la paix puisse advenir peut servir d’antidote à la violence qui nourrit les actes de désespoir.
Israël, parce que c’est une démocratie suscite de notre part plus d’attentes, plus d’exigences quant au respect de certaines valeurs, et notamment le prix d’une vie humaine. Je suis comme vous, mes chers collègues, persuadée que l’avenir d’Israël et celui de la Palestine sont liés. Que la garantie de la sécurité d’Israel, c’est l’Etat de Palestine.
C’est, par ailleurs, me semble t’il, une erreur d’imaginer qu’en votant contre cette proposition, on pourrait contribuer à lutter contre les actes antisémites qui minent notre pacte républicain. Bien au contraire !
Je déplore, la faiblesse de l’indignation nationale, en dehors bien évidemment de la forte condamnation du gouvernement, qu’aurait dû susciter le crime commis à l’encontre de ce couple de Créteil, et notamment de la jeune femme tout comme je dénonce l’apathie des réactions quand des actes islamophobes meurtrissent nos concitoyens de confession musulmane.
Je regrette que nous ayons perdu notre nécessaire capacité d’indignation parce que, comme le disait Saint Augustin :
• à force de tout banaliser, on finit par tout supporter,
• à force de tout supporter, on finit par tout tolérer,
• à force de tout tolérer, on finit par tout accepter
• et à force de tout accepter, on finit par tout approuver.
Luttons, condamnons, punissons les propos et actes racistes d’où qu’ils viennent. Formons les consciences des jeunes générations et contribuons, par notre vote, à soutenir ceux qui, en Israël, en Palestine et ailleurs dans le monde, en dépit des épreuves et des drames, continuent à croire et à vouloir la paix.
• Imaginons, mes chers collègues, que, cette proposition de résolution soit votée, et que ce vote, devienne utile pour la reprise des négociations.
• Imaginons encore que ces négociations permettent d’aboutir à la paix.
• Imaginons un instant, un Proche-Orient pacifié.
C’est une vision qui peut paraître utopique tant la désespérance s’est incrustée dans le cœur des hommes et pourtant, il n’y a pas de fatalité.
Avec notre vote, la France et l’Angleterre, membre du conseil de sécurité, pourront se prévaloir du soutien de leur représentation nationale. Le président des Etats-Unis, libéré de la contrainte électorale, aura davantage de marge de manœuvre. Le moment est venu d’imaginer un Proche-Orient pacifié.
Il restera à fonder la bienveillance envers l’autre. C’est à dire porter sur soi le destin de l’Autre. Et c’est vers quoi doivent tendre israéliens et palestiniens : aller d’une paix froide sur un bout de parchemin à une réconciliation des cœurs.
Cet horizon ne pourra être atteint sans la volonté des deux parties et sans la vigilance et surtout l’impartialité de la communauté internationale. La France, pays ami des peuples israéliens et palestiniens, ne peut que, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, prendre des initiatives pour sortir de ce tête à tête sans issue.
Et Il nous appartient à nous, membres de la représentation nationale de les assurer de notre soutien en posant la première pierre : le vote de cette résolution pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine.
Mes chers collègues, soyons à la hauteur de ce moment.